La cheffe du Rassemblement national Marine Le Pen devait commémorer les 80 ans de l’appel du général de Gaulle, le 18 juin, sur l’île de Sein (Finistère), symbole de la Résistance française. C’était sans compter sur la mobilisation des habitants, pour qui sa venue était une provocation. Elle a finalement effectué un passage éclair, en catimini, le 17 juin.
Marine Le Pen est repartie de l’île de Sein aussi vite qu’elle est arrivée. Si la cheffe du Rassemblement national avait prévu de commémorer les 80 ans de l’appel du général de Gaulle le 18 juin, elle est finalement restée moins de deux heures dans l’après-midi du 17 juin.
Les Sénans étaient, pour une grande majorité, largement opposés à sa venue, jugeant sa démarche « provocatrice ». Ils accusent la fille Le Pen d’exercer une « récupération politique honteuse » sur le dos de leurs ancêtres. Pour le comprendre, il faut connaître l’histoire intime des îliens et, en particulier, leur rapport à la Seconde Guerre mondiale et au général de Gaulle. Sur l’île au large de la pointe du Raz, tout ramène à un passé résistant, toujours ancré dans les mémoires des Sénans : le Phare de la France Libre, la Croix de Lorraine, le quai des Français-Libres.
« Ici, on a tous un père, un grand-père, un oncle ou un cousin parti au front, rappelle Patricia. Nous avons tous grandi avec cette histoire et ce jour-là [le 18 juin], nous rendons hommage à nos ancêtres. Sans eux, nous ne serions pas là. »
Patricia, factrice et arrière-petite-fille d’un soldat jamais revenu
L’île de Sein, ancrée dans la Résistance

Marine Le Pen a choisi de célébrer les 80 ans de l’appel du général de Gaulle sur l’île de Sein, un symbole de la Résistance pendant la Seconde Guerre mondiale. Le 22 juin 1940, trois jours après l’appel aux Français sur les ondes britanniques de la BBC, une dizaine de Sénans écoutaient la retransmission du désormais célèbre discours sur un poste TSF, sur le rebord de la fenêtre de l’hôtel Océan. Deux jours plus tard, 129 hommes — soit près de 10% de la population sénane* — ont rallié l’Angleterre avec leurs bateaux de pêche. Trente-deux ne sont jamais revenus.
Charles de Gaulle s’était étonné, lors du passage en revue des troupes, début juillet 1940 à Londres, du nombre de Sénans sur près de 500 volontaires : « L’île de Sein, c’est donc le quart de la France ? ».
« Récupération politique honteuse »
L’attachement à la figure du Général demeure très forte parmi les habitants. Cette énième tentative de récupération de son image par la cheffe du Rassemblement national, dont le père a bâti sa carrière politique sur l’anti-Gaullisme, est donc très mal passée. Certains habitants avaient, dans un premier temps, envisagé d’empêcher le bateau de Marine Le Pen d’accoster. Selon Ouest-France, le Parti communiste Français (PCF) envisageait même d’effectuer des blocages au port d’Audierne.
« Les gendarmes nous ont dit que l’on risquait de se faire embarquer nos bateaux voire nos permis. Donc on s’est réunis entre nous et on a choisi de l’ignorer, atteste Pierre, enfant du pays et dirigeant du club nautique de l’île. C’est le meilleur moyen de ne pas lui donner d’importance. » « On a résisté contre la mer, contre le vent, on peut bien résister contre l’extrémisme », ironise, pour sa part, l’unique pêcheur permanent de l’île, François Spinec.
Marine Le Pen arrivant à l’île de Sein. Lieu de rendez-vous des Sénans La gerbe piétinée Pierre Spinec enlevant la gerbe de Marine Le Pen
Certains habitants s’étaient mis d’accord pour jouer l’indifférence. Mais son arrivée en catimini, avec un jour d’avance, a révolté les habitants. Cinq minutes avant son débarquement, l’île s’agite et la nouvelle fuse. Bruno surveille le quai avec des jumelles derrière son bar. « Elle arrive, je ferme, je ne veux pas avoir à la servir. » D’autres se précipitent vers le port Men-Brial, pour accueillir la députée du Pas-de-Calais, sous les huées.
Après un bref passage dans une maison de l’île, la figure d’extrême-droite a déposé une gerbe de fleurs au pied du monument des Forces navales françaises libres (FNFL) de l’île. Le bouquet de fleurs n’a cependant pas résisté à la colère des habitants. Immédiatement, ils ont pris soin de le retirer, de le piétiner et de le jeter à la poubelle. Moins de deux heures après son arrivée, la patronne du RN prend la direction du retour. Cette fois, une cinquantaine de Sénans ont manifesté leur colère par une haie du déshonneur, hautement symbolique.
Une commémoration intimiste
Le lendemain, le 18 juin donc, à 9 heures, sous une pluie battante, la cérémonie officielle a finalement eu lieu. Les 120 personnes présentes — l’île héberge 249 habitants dont environ 130 à l’année — démontre à quel point l’événement était important pour les Sénans.
Ambroise Menou, 67 ans, se rend chaque 18-Juin au pied du monument où se dresse une énorme Croix de Lorraine. Il y voit « un acte de mémoire et de reconnaissance ». « L’un de mes grands-pères faisait partie des 128 (**) qui sont partis, mon oncle – mon parrain – et un cousin de mon père. Ils étaient trois [dont] un n’est malheureusement pas revenu. » Sur le passage de la cheffe du Rassemblement national, Ambroise Menou se montre cinglant : « Je me passerai de commentaires là-dessus. C’est insignifiant. »

Marine Le Pen n’est pas venue sur l’île de Sein, elle s’y est imposée. Mais elle n’a pas réussi à nous prendre nos valeurs et à gâcher notre commémoration du 18 juin.
Corinne Guilcher, adjointe au maire de Sein, des trémolos dans la voix
Chez Bruno, bistrot et cœur bouillonnant du village, Marine Le Pen est sur toutes les lèvres après la cérémonie. Annie (***), dont l’oncle était parti au combat, s’insurge : « Elle nous a quand même gâché une partie de la fête. D’habitude il y a une bonne ambiance, on se réunit, on boit des coups, surtout pour célébrer les décennies ».
Jean-Pierre, un Sénan présent dans le bar, contrebalance : « On a quand même pu faire notre cérémonie tranquille, sans elle. On a gagné. »
(*) En 1936, l’île de Sein comptait 1.328 habitants et 1.144 en 1946. Aucun recensement n’a eu lieu entre ces deux dates.
(**) Le 24 juin 1940, 129 hommes sont partis après l’appel du général de Gaulle, d’autres les ont rejoint plus tard. Au total, 141 Sénans ont rejoint les armées françaises, dont 32 qui ne sont jamais revenus.
(***) Le prénom a été changé à la demande de l’intéressé.